Les filles # 1
On en avait plusieurs fois parlé avec mon copain Philippe. On irait la voir. Quand quelqu'un nous demandait de qui on parlait, on disait toujours pudiquement mais aussi avec un brin d'humour noir non feint : une copine. On ne pouvait guère plus la rencontrer ailleurs aujourd'hui que dans le cimetière de ce petit bourg breton.
On se l'est promis ! Mais on n'y va pas. Est-ce la peur ? De se retrouver là- bas comme deux cons, ne sachant que faire de nous. Le souhaitait-on vraiment… Les cimetières sont de drôles d'endroits. Les enfants, petits, aimaient y aller avec les grand-mères, pour y jouer. Tous ces murets, ces fleurs, ces allées, ces noms ; compter, regarder, escalader, arroser…
C'est ma première amie. Nous nous étions trouvées, à l'aube d'une seconde littéraire mouvementée. En cours de sport, les deux dernières en course, soufflant leurs premières cigarettes. Amours, sorties et copains occupaient toute notre vie ; le lycée, accessoire, nous servait à nous voir tous les jours. Le péril jeune était notre quotidien. Jusqu'en terminale, notre amitié s'est construite sur des rapports sains et francs, de compréhension, ; juste un regard. Des fous rires. Il m'arrive encore de lever les yeux vers le ciel[quelle idée?] quand au hasard d'un souvenir, d'une rencontre, me rappelant… Mais nous nous étions perdues de vue. Moi, ayant perdu une bonne partie de mes anciens amis en courant aveuglement vers mon amour. C'est un ami commun qui m'a annoncé qu'elle avait décidé de nous quitter, à 25 ans, qu'elle avait été enterrée trois jours auparavant.
Il faut qu'on y aille, pas moi toute seule, pas lui tout seul : tous les deux.