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Rosee matinale
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12 avril 2007

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Jean-Philippe, ami bloggeur, (pardonne-moi Jean-Philippe si je te copie) m'a donné envie de vous parler à mon tour de mes lectures… Ou plutôt de ma lecture car en ce moment  je lis ce livre : Un roman russe d'Emmanuel Carrère…


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Extrait : Un soir qu'on parlait de ça depuis des heures avec une nonchalance farouche, un type que je ne connaissais pas a raconté une autre histoire, peut-être inventée, peut-être pas. C'était encore le temps de l'Union soviétique. Quand on prend le Transsibérien, expliquait le type, il est strictement défendu de descendre en route, de s'arrêter par exemple à une station pour y faire du tourisme en attendant le train suivant. Or il paraît qu'on trouve dans certaines villes perdues le long de la voie ferrée des champignons hallucinogènes exceptionnels - l'histoire, selon le public, peut être racontée en modifiant l'appât : tapis très rares et très bon marché, bijoux, métaux précieux… Si bien que parfois des audacieux se risquent à braver l'interdiction. Le train s'arrête pour trois minutes dans une petite station en Sibérie. Froid de canard, pas de ville, seulement des baraquements : une zone sinistre, boueuse, qui semble dépeuplée. Sans se faire remarquer, l'aventurier descend. Le train repart, il reste seul. Sons sac sur l'épaule, il quitte la station, c'est-à-dire le quai de planches pourries, patauge dans des flaques, entre palissades et barbelés, en se demandant s'il a vraiment eu une bonne idée. Le premier être humain qu'il rencontre est une espèce de hooligan dégénéré qui lui souffle à la figure une haleine épouvantable et lui tient un discours dont les nuances se perdent (le voyageur ne parle que quelques mots de russe, et ce que parle le hooligan n'est peut-être pas du russe), mais le sens général est clair ; il ne peut pas se promener comme ça, il va se faire ramasser par la police. Milicia !… milicia ! Suit un torrent de mots incompréhensibles mais, la mimique aidant, le voyageur comprend que le zonard lui offre de l'héberger jusqu'au prochain train. Ce n'est pas une offre très engageante, mais il n'a guère le choix et peut-être, après tout, l'occasion se présentera de parler champignons ou bijoux. À la suite de son hôte, il pénètre dans une affreuse cambuse, chauffée par un poêle fumeux, où se trouvent réunis d'autres types encore plus patibulaires. On sort une bouteille de tord-boyaux, on trinque, on discute en le regardant, le mot milicia revient souvent, c'est le seul qu'il reconnaît et, à tort ou à raison, il se figure qu'on parle de ce qui se passera s'il tombe entre les mains de la milice. Il ne s'en tirera pas avec une grosse amende, oh que non !- tous rigolent comme des bossus. Non, on ne le reverra jamais. Même si on l'attend au terminus, à Vladivostosk, on s'apercevra de son absence et ce sera tout. Sa famille, ses amis pourront faire tout le raffut qu'ils voudront, on ne saura jamais, on ne cherchera jamais à savoir où il a disparu. Le voyageur tente de se raisonner : ce n'est peut-être pas du tout cela qu'ils disent, peut-être qu'ils parlent des confitures que font leurs grands-mères. Mais non, il sait très bien que non. Il sait très bien qu'ils parlent du sort qui l'attend, déjà il a compris qu'il aurait mieux valu tomber sur ces miliciens corrompus dont on le menace si jovialement, qu'en fait tout aurait mieux valu que cette cahute de planches mal jointes, que ces joyeux drilles édentés dont le cercle à présent se resserre autour de lui, qui toujours par plaisanterie commencent à lui pincer la joue, à lui donner des pichenettes, des bourrades, à lui montrer comment font les miliciens jusqu'au moment où ils l'assomment et il se réveille plus tard dans le noir. Il est nu sur le sol de terre battue, tremble de froid et de peur. En étendant le bras, il comprend qu'on l'a enfermé dans une sorte d'appentis, et que c'est fini. La porte d'ouvrira de temps à autre, les bouseux hilares viendront le frapper, lui marcher dessus, le sodomiser, bref s'amuser un peu, on n'a pas tant d'occasions que ça en Sibérie. Personne ne sait où il est descendu, personne ne viendra le secourir, il est à leur merci. Il doivent traîner quand un train est attendu, aux alentours de la gare, dans l'espoir qu'un imbécile enfreindra l'interdiction : celui-là, il est pour eux. On en fait toutes sortes d'usages, jusqu'à ce qu'il crève, et on attend le suivant. Bien sûr, il ne se dit pas cela si raisonnablement, mais à la façon d'un homme qui reprend connaissance dans une boîte étroite, où il ne voit rien, n'entend rien, ne peut se mouvoir et met quelque temps à comprendre qu'on l'a enterré vivant, que tout le rêve de sa vie menait à cela, et que c'est la réalité, la dernière la vraie, celle dont il ne se réveillera jamais.
Il est là.

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Commentaires
L
Heu, à vrai dire, je sèche sur la lecture. Je n'aime pas trop lire sur l'ordi mais c'est une bonne idée d'échanger sur la lecture. Moi, je lis Niourk, un roman de SF de Stefan Wul que j'ai lu petite et qui m'avait beaucoup marqué.
J
Bonjour Cécile !<br /> <br /> Ravi de voir que la chronique sur Yves Simon te donne envie de parler "bouquin" je vais découvrir ce livre à mon tour <br /> à bientot<br /> et...merci pour le p'tit message d'encouragement en effet cet Anonyme m'a un peu agacé à la première lecture et puis avec un peu de recul je me rends compte que tu as raison .<br /> merci
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